Un thriller psychologique, en cours de finition .

Un premier extrait en guise d’apéritif.

Chapitre 1

21 juin 2024

Carmen.

La jeune femme est allongée à même le sol, sur le perron de l’Opéra de Lille.  Couchée sur le flanc, la tête rentrée dans les épaules, dos courbé, bras croisés sur la poitrine, les genoux repliés presque jusqu’au menton : elle attend.

Elle attend que son cerveau réussisse à lui fournir une explication, déchiffre les événements qui viennent de se dérouler. Mais rien : affolé, il ne parvient pas à prendre la mesure de la situation, ni à lui dicter la marche à suivre. Alors elle reste là, repliée sur elle-même, comme recroquevillée dans un cocon, s’employant à occulter le cataclysme qui vient de s’abattre sur elle.

Elle est bien dans son cocon.

Elle gît au milieu d’une myriade de petits éclats de verre qui font scintiller les dalles de pierre, tandis que de minces filets de sang s’échappent des entailles qui lui strient la peau. Sa robe légère est retroussée jusqu’à la taille, mais elle ignore ce détail ; il est insignifiant. Des choses beaucoup plus essentielles accaparent son attention, comme par exemple, sa respiration. Elle halète comme un animal blessé, incapable de contrôler les hoquets qui la secouent. La violence de l’explosion a malmené ses tympans : ne lui parviennent que des bruits sourds, des sons indéchiffrables, qui paraissent filtrés par une épaisse couche cotonneuse. Même les hurlements stridents qui retentissent autour d’elle ressemblent à des mugissements étouffés. Elle n’éprouve aucune douleur, aucune sensation aiguë, et c’est cela qui la trouble un peu. Son cerveau devrait lui envoyer des signaux. Pour la rassurer, il devrait dresser un inventaire : est-ce que son corps est fracassé, est-ce qu’il fonctionne encore ? Où a-t-elle mal ? Mais il ne lui fournit aucun indice. Il est comme anesthésié.

Le temps est aboli. Depuis quand gît-elle là, prostrée ? Elle y resterait bien indéfiniment, dans cette bulle hors du temps, entre un avant et un après. Si seulement on voulait bien la laisser flotter hors du monde, jusqu’à ce qu’elle sorte de sa sidération, qu’elle se reconnecte à la réalité.

Pourquoi cette main empoigne-t-elle son bras pour la forcer à se relever ? Elle se sent très lasse et très faible. Le moindre mouvement exige un effort considérable, et elle n’en a ni le courage, ni la force. Elle geint et voudrait qu’on la laisse en paix, mais la main impatiente ne lui accorde aucun répit. Elle insiste, se fait plus pressante. Elle la secoue, tire de plus en plus fort.

Aie ! Maudite main, elle a réveillé quelque chose. À cause d’elle, l’influx nerveux circule de nouveau, et la douleur, aiguë, la surprend par sa soudaineté. Elle essaie de se dégager, mais la poigne est ferme, nerveuse : l’étau se resserre.

Bientôt la jeune femme se retrouve assise : deux bras passés sous ses aisselles la soulèvent sans ménagement. Une fois, deux fois, elle retombe lourdement au sol.  À la troisième, malgré elle, elle se retrouve debout, soutenue par une silhouette qu’elle distingue à peine en raison du vertige qui fait basculer le décor autour d’elle. Elle est à deux doigts de s’effondrer, voudrait qu’on la laisse tranquillement se reprendre, mais la silhouette intraitable ne lui en donne pas le loisir ; toujours pressante, elle exige à présent qu’elle se mette à marcher. Marcher vite, précipitamment, courir vers l’intérieur du bâtiment, vers le hall dont les dorures et les lustres étincellent de mille feux. Elle obéit : comment pourrait-elle faire autrement ? Un bras lui serre fermement la taille, l’autre l’incite à s’appuyer sur l’épaule de son guide autoritaire. Elle avance clopin-clopant, fait de son mieux, mais ce n’est pas assez vite ; la silhouette la houspille. C’est presque une torture, cet acharnement.

Au moment où le seuil est franchi, un sifflement puissant retentit, et un grand panneau de verre vole en éclats, puis un autre. C’est un tonnerre de feu qui s’en prend à la bâtisse. Une vive douleur lui déchire soudain le dos et lui arrache un cri, mais la silhouette n’en tient pas compte et accélère la cadence. Elle la hisse quasiment sur son épaule, tourne sur la droite, descend quelques marches : opération périlleuse pour la jeune femme dont les jambes ne la portent plus. Elle vacille, trébuche et tombe. C’est à présent traînée sur le sol qu’elle parcourt les derniers mètres qui la séparent d’un mur où une porte s’est matérialisée, dans un couloir en contrebas. Une double porte, discrète, sur la gauche. Une porte de placard ?

Les voici à l’intérieur. Il fait sombre. Cette fois, c’en est trop, son cerveau abandonne le combat ; sa vision se trouble, tout son corps se dérobe. La pièce où elle est enfermée se met à tournoyer. Avant de s’évanouir, elle a juste le temps d’apercevoir le visage de la personne qui l’a entraînée jusqu’ici : c’est une femme, grande et mince, aux cheveux argentés et aux lunettes cerclées d’écaille noire. Elle reconnaît ce visage ; c’est celui de la dame dont elle a partagé la loge pour assister à Carmen.

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Merci à Emmanuel Dufour pour son enregistrement du premier chapitre de mon prochain roman, un thriller psychologique intitulé Danser dans la Tourmente. Lecture diffusée par Radios Libres en Périgord, dans le cadre de l’émission Le Coin Lecture.

Disponible sur Youtube, enregistrement du 7/7 2025.

Ce premier chapitre est suivi d’une nouvelle intitulée Matabiau. Le thème en est la corrida, mais une corrida revue et corrigée, dont l’issue vise à créer la surprise…