Aquarelle originale d’Alain Roy

       À ce moment précis, mon téléphone sonna : c’était mon doux, mon précieux chéri qui venait aux nouvelles.

      J’avais pris l’habitude de l’appeler quotidiennement pour lui raconter mon voyage et partager avec lui quelques anecdotes, or aujourd’hui, ne recevant pas le coup de fil attendu, il s’étonnait de mon silence. Afin de ne pas importuner mes amies, je décidai de m’éloigner de quelques pas pour poursuivre notre conversation en privé. Un petit sentier partait justement en direction des rochers en s’écartant de la plage : j’enfilai à la hâte mes chaussures de randonnée et, après avoir escaladé quelques grosses pierres, me retrouvai bientôt dans un endroit retiré et dégagé, seule face à l’Atlantique, uniquement équipée de bottines montantes et munie de mon portable.

Une tenue pour le moins ridicule, mais à l’abri des regards, peu importait.

      L’échange prit rapidement un tour galant : la voix d’Henry, si familière et réconfortante, me fit oublier mon embarras, les regards hostiles et moqueurs que j’avais cru déceler. Je me lançai aussitôt dans la description enthousiaste de notre découverte, et des joies engendrées par la baignade sans maillot, transformant au passage l’anecdote en récit de bravoure et de conquête de liberté.

   La réaction ne se fit pas attendre. Henry me déclara tout net que j’avais piqué sa curiosité et suscité un intérêt marqué, non pas tant pour le décor somptueux dans lequel je me trouvais, que pour ma tenue vestimentaire, ou plutôt, en l’occurrence, mon absence totale de tenue.

« Nue sur les rochers entre mer et forêt ? Oh, darling, envoie-moi vite un selfie ! »

      La demande ne me surprit pas vraiment, venant de sa part, et, bien isolée dans l’intimité de ma cachette, je m’exécutai en riant, ravie de cette complicité amoureuse renouée par-delà l’océan. Mais cela ne contenta pas mon cher interlocuteur. Peu convaincu par mes talents de photographe, notamment par mon choix de cadrage, il formula des critiques précises :

« Je ne vois pas grand-chose, honey. Mets-toi en mode caméra et envoie-moi une vidéo. Je veux te voir tout entière, de la tête aux pieds, et pas seulement ton visage et tes épaules. Ne sois pas timide. Fais-moi rêver d’amours exotiques. »

      Nous en étions là dans nos ébats téléphoniques lorsqu’une voix d’homme, caressante et soyeuse, retentit juste derrière moi :

« Vous voulez que je vous photographie avec votre appareil ? »

    Je me figeai sur place, interdite.