Ce matin-là, à l’aube, les trois randonneuses avaient été comblées. Le panorama époustouflant qui nous attendait sur la Pointe des Châteaux, à l’extrémité est de Grande Terre, avait tenu les promesses des guides touristiques que j’avais avidement compulsés avant le départ. Assises sur les rochers, nous avions attendu dans la pénombre que le rideau se lève pour nous révéler un spectacle magistral et, inspirée par le lyrisme débridé des brochures, j’avais aussitôt laissé mon imagination fertile le transformer en un combat épique. Je ciselai de belles formules ronflantes que je me promis à mon retour de consigner dans un carnet de voyage

 Ainsi la forteresse de roches volcaniques érodées par les vagues qui venaient s’y fracasser lors des ouragans, poussées par la violence des alizés, défiait l’Atlantique de sa silhouette sombre. Une armée de nuages, sentinelles austères, veillait jalousement sur le sommeil de l’océan, secondée par une escouade de rochers massifs dont les contours déchiquetés surgissaient de l’eau à quelques mètres de la falaise abrupte. C’était à peine si l’on distinguait de pâles reflets moirés à la surface de l’eau. Soudain, le signal avait été donné : d’abord une pâle teinte rosée avait nimbé la mer tandis qu’entre les nuages une clarté diffuse réveillait progressivement le ciel, accentuant par contraste leurs masses opaques. Bientôt un fin trait d’or était apparu à l’horizon, et il en était surgi aussitôt un éclair fulgurant qui était venu transpercer le nuage situé immédiatement à la verticale. Dès lors, tout s’était passé très vite : le trait d’or s’était dilaté, comme animé par une force conquérante, et avait annexé tout l’espace qui se trouvait à proximité, laissant rapidement place à un disque éblouissant d’où s‘échappaient de violents rayons orangés de plus en plus larges et de plus en plus belliqueux. La clarté et les ténèbres s’étaient livrés sous nos yeux à un combat titanesque. De toutes parts, les nuages assaillis par le globe éblouissant avaient été canonnés, mis en pièces, investis par la lumière ; saturés par toute une gamme de couleurs chaudes allant du jaune le plus intense à l’orange le plus offensif, ils avaient succombé un à un aux assauts de l’astre, s’étaient ourlés d’or puis embrasés, réverbérant à leur tour les teintes de l’aube. 

Seule la mer, dernier bastion de résistance, avait réussi à préserver un temps son opacité. Pourtant, elle aussi, avait finalement capitulé face aux assauts d’un ennemi déterminé : pour consacrer sa victoire, après nous avoir offert l’embrasement de l’horizon, des nuages et du ciel, le soleil avait réveillé peu à peu toutes les nuances de bleu de l’océan. Nous avions applaudi le triomphe de la lumière sur l’obscurité et, depuis le promontoire rocheux et découpé sur lequel nous étions juchées, nous avions pu embrasser du regard l’outremer des fonds marins contrastant avec les dégradés de turquoise sur le lagon protégé par la barrière de corail. La houle qui s’était gonflée coiffait les vagues d’une épaisse couche d’écume blanche et complétait ainsi l’harmonie de couleurs. Au loin La Désirade se devinait, surgissant des flots dans une brume bleutée.

Emportée par mon propre souffle épique, je sentis s’échapper une larme devant tant de beauté.